Café du Forex vous présente l’analyse mensuelle d’Eric Buffandeau, Groupe BPCE, sur le Forex et le marché des matières premières.
Pouvez-vous revenir sur les bouleversements survenus sur le marché des changes en 2013 ?
L’évolution des devises en général est liée au contexte mondial. Or ce dernier est marqué par trois phénomènes principaux :
Un phénomène de rééquilibrage de la croissance entre pays émergents et pays avancés. On note une reprise américaine certes mesurée, mais d’allure durable, ainsi qu’une sortie de récession de la zone euro, qui atténue la crise de la dette souveraine.
De plus, la volonté pressentie de la Fed cet été de limiter ses rachats d’actifs a poussé à un réarbitrage des placements des pays émergents vers les pays avancés, afin d’y trouver une meilleure rentabilité ajustée du risque. Il s’en est suivi une tendance à la hausse du dollar contre l’euro, jusqu’à ce que la Fed annonce en fin de compte une poursuite temporaire de sa politique d’assouplissement quantitatif.
Les devises émergentes ont subi de plein fouet ce réarbitrage jusqu’en septembre, notamment celles des pays qui présentent de forts déséquilibres de la balance courante et une inflation élevée (Inde, Brésil, Turquie, Indonésie…). Entre janvier et septembre 2013, la roupie indienne a perdu 17 % face au dollar, le réal brésilien 14 %.
La volonté japonaise de sortir de la déflation, illustrée, entre autres, par une politique d’assouplissement monétaire important, visant à un doublement de la taille de son bilan d’ici à la fin 2014 (achats d’obligations publiques et d’autres instruments). Le yen a fortement baissé en conséquence, sachant que ce dernier était jusque-là fortement surévalué au regard du niveau de croissance du pays et de l’apparition d’un déficit commercial. Le yen s’est fortement déprécié pour atteindre le niveau de 98 yens pour 1 dollar, contre 84 en début d’année. Il devrait demeurer à un niveau proche de 100.
En bref, la grille des changes a été bouleversée sur une partie de l’année en raison du processus de rééquilibrage économique, mais un autre phénomène vient contrarier ce dernier.
La querelle budgétaire américaine, qui ne devrait pas connaître de dénouement avant le 17 octobre. Les marchés financiers ont beau sembler croire en un règlement positif du problème, la volatilité s’est accrue, tout en restant modérée. Quant à l’euro, il sert en quelque sorte de valeur refuge et voit sa valeur s’apprécier, également sous l’effet d’une amélioration de la situation économique de la zone et de la crédibilité de la politique monétaire de la BCE. Il atteint ainsi un niveau de 1,36 par rapport au dollar, ce qui reste loin du chiffre de 1,60 connu au printemps 2008.
L’euro est clairement surévalué, que ce soit sous l’angle de la parité de pouvoir d’achat, sous celui du change réel ou encore celui du coût de la main-d’œuvre. De plus, la croissance européenne potentielle demeure très inférieure à celle des Etats-Unis. En toute logique, les capitaux devraient refluer vers les Etats-Unis, mais les forts excédents commerciaux dégagés par l’Europe grâce à l’Allemagne ainsi que la situation politique actuelle (querelle budgétaire américaine, reflux du risque d’implosion de la zone euro) incitent les investisseurs à privilégier l’euro. La devise européenne pourrait continuer de monter jusqu’à 1,40 dollar si la politique de la Fed se maintient. Dans le cas contraire, un retour à la normale vers 1,24 dollar semble probable.
Comment les monnaies émergentes réagissent-elles ?
Les monnaies émergentes se sont plus ou moins ressaisies depuis le mouvement de désaffection estival. Cependant, pour convaincre les investisseurs, les pays de la zone doivent assainir leurs balances courantes et attester d’une maîtrise de l’inflation. L’Inde en 1991 et le Brésil en 1998 ont déjà connu cette situation. Lorsque la devise d’un pays se déprécie alors que celui-ci connaît des fragilités internes, il s’ensuit une forte baisse de la demande intérieure qui pèse sur la croissance mondiale. C’est à ce prix que le pays concerné parvient à rééquilibrer sa balance courante et à redresser sa monnaie. Ce mouvement d’assainissement nécessite un certain temps pour s’accomplir.
Comment analysez-vous l’évolution des matières premières ?
Le pétrole
Le comportement des matières premières est lui aussi lié au contexte mondial. Le pétrole, par exemple, progresse lorsque la croissance mondiale est supérieure à 2,5 %. Aujourd’hui, la demande des pays avancés tend à diminuer (croissance modérée, développement du gaz naturel et du gaz de schiste aux Etats-Unis) tandis que celle des pays émergents se maintient voire progresse en dépit de leur ralentissement économique.
Ces éléments concourent à maintenir le prix du Brent autour de 108 dollars pour encore un certain temps, après une hausse assez forte de la production cet été (plus de 91 millions de barils/jour), et à soutenir les matières premières industrielles en général.
L’or
Par ailleurs, l’or, qui selon moi, sert de valeur refuge en contexte de craintes inflationnistes et de risques systémiques, a vu son prix fortement progresser durant la crise financière, avant de se déprécier quelque peu avec l’éclaircie économique. S’il a tendance à s’apprécier de nouveau face à la situation complexe des pays émergents, traditionnellement très demandeurs de ce métal, le retour, même timide et fragile, de la croissance économique de part et d’autre de l’Atlantique tend à limiter sa hausse.
Propos recueillis par Nadège Bénard