Eric Buffandeau, Directeur adjoint Direction Veille, Etudes & prospectives du Groupe BPCE nous livre sa vision du marché des changes (forex) pour cette fin d’année 2015.
Bilan des évolutions récentes du marché des changes
Le marché des changes reste en proie à des bouleversements déstabilisants, alors que le commerce mondial est morose. Plusieurs tendances récentes sont à distinguer, qui dépendent des anticipations sur l’évolution des prix des produits de base et plus encore de la confrontation de politiques monétaires plus agressives, tant au Japon qu’en Europe, ceci étant renforcé par l’incertitude sur le resserrement monétaire américain.
D’abord, les devises des pays exportateurs de matières premières continuent à se déprécier face au dollar, en lien avec la faiblesse des prix des produits de base, pétrole en tête, dont le cours évolue souvent en sens inverse de celui du dollar. A l’instar du real brésilien, du peso argentin et du rouble russe, leurs économies sont ainsi fragilisées, du fait de la détérioration des termes de l’échange et de l’inflation importée.
Ensuite, tels la Corée ou Taiwan, les devises des pays émergents d’Asie hors Chine pâtissent de sorties nettes de capitaux. Résultat d’une anticipation à la hausse des taux américains, ces sorties paraissent encouragées par les autorités politiques, pour contrer la réévaluation de leur devise face au yen et au yuan. Ce phénomène est anormal. En effet, ces pays, pour la plupart importateurs nets de pétrole, ont des comptes extérieurs largement excédentaires, excédents que la baisse des prix de l’or noir accentue.
La dévaluation du Yuan demeure assez modeste, autour de 3%, en dépit de son appréciation antérieure d’environ 15% en change effectif réel, des sorties de capitaux et de la décélération économique chinoise. Il est vrai que l’Empire du Milieu dégage toujours des excédents extérieurs colossaux, dus toutefois à une contraction des importations. Des mesures de relance par stimulation du crédit ont été réanimées.
Enfin, le dollar, l’euro et le yen sont davantage guidés à court terme par l’évolution comparée des taux longs, liés aux rachats d’actifs (QE) des différentes banques centrales, que par celle des taux courts, toujours proches de zéro. L’euro était remonté jusqu’à plus de 1,14 dollar, en raison du choix de la Fed de prolonger le statu quo monétaire en septembre, au risque de perdre en crédibilité. Depuis lors, il est retombé sous la ligne de 1,10 dollar, du fait des déclarations de Monsieur Draghi, laissant entendre que la BCE renforcerait le caractère accommodant de sa politique. La monnaie unique semble donc accentuer sa consolidation, y compris face au yen, tout en se repliant contre les devises des pays émergents d’Asie.
N’assiste-t-on pas à une dérive des objectifs des Banques centrales ?
En régime de change flexible, le taux de change, qui est certes un canal de transmission de la politique monétaire, n’est pas un objectif de banque centrale. Pourtant, nombreuses sont celles qui se sont lancées dans une surenchère historique de politiques monétaires ultra-accommodantes, ce qui revient implicitement à une guerre des changes.
Leurs objectifs véritables, mais inavoués, est la dépréciation du change et la reprise du crédit, à l’instar de la Banque du Japon ou de la BCE. Celle-ci, sous couvert de ramener l’inflation, proche de zéro, vers 2%, impose ainsi un sens symétrique à son principal mandat, pour donner aux Etats-membres le temps d’accomplir les réformes structurelles nécessaires.
Le but est à la fois de soutenir la demande, en gagnant des parts de marché, et de combattre le spectre déflationniste, par une hausse des prix importés. Cette dérive risque à terme d’induire une perte de crédibilité si, par ce déversement de liquidités et par la progression des dettes, l’effet sur la croissance et surtout sur la relance de l’investissement n’apparaît pas clairement. Il en est de même de l’inflation, qui dépend de la hausse des coûts salariaux et du prix des matières premières.
Quelles sont les perspectives d’évolution à court terme de l’euro dollar ?
Face à la solidité de la conjoncture américaine, la Fed devrait relever son principal taux directeur de 25 points de base dès le 16 décembre, puis à nouveau en mars 2016 (+0,25%), avant une pause de neutralité politique jusqu’à l’élection présidentielle. En conséquence, il n’y aurait pas d’urgence pour la Banque du Japon de renforcer son QE.
Dans ce cas, il est probable qu’on assiste à un phénomène temporaire de sur-réaction à la hausse du dollar face à l’euro, si les deux banques centrales exerçaient une action quasi simultanée de sens contraire en décembre prochain. Cet effet ciseaux serait accru, si la BCE décidait une baisse supplémentaire (10 points) du taux de la facilité de dépôt, déjà négatif à -0,2%, mettant ainsi davantage l’accent sur le canal du change.
L’euro pourrait même se situer en dessous de 1,05 dollar, avant de retrouver un niveau plus cohérent (à 1,1 dollar) avec le déficit extérieur des Etats-Unis. Le paradoxe serait que les modalités de décision de la BCE du 3 décembre incitent la Fed à repousser à mars son premier resserrement monétaire, afin de limiter la dépréciation de l’euro face au dollar.
Eric Buffandeau
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